Il est à peine besoin de souligner que la crise sanitaire que la France a connu et connaît encore va avoir un impact majeur sur la survie de nombres d’entreprises, TPE ou PME, commerçants, artisans et travailleurs indépendants.

La perte de chiffre d’affaires nette engendrée par les fermetures administratives totales ou partielles, le cumul des charges et l’obligation d’assumer le coût des marchandises reçues antérieurement à la crise et payables pendant cette dernière vont nécessairement placer ces derniers dans des situations particulièrement difficiles et problématiques que ne pourront compenser complètement les dispositifs mis en place par le gouvernement au titre du report ou de l’annulation des charges, du chômage partiel, du fonds de solidarité, des prêts garantis par l’Etat….

Il est donc assez logique que certains cherchent des moyens parallèles pour combler leurs pertes, l’indemnisation pour perte d’exploitation constituant bien évidemment un recours possible.

Depuis plusieurs jours maintenant, les médias se font l’écho de la victoire d’un restaurateur contre son assureur générant ainsi une forme d’espoir pour nombre de personnes qui pensent pouvoir ainsi trouver une issue à leurs difficultés.

Toutefois, l’illusion peut aussi être créatrice de désespoir si elle n’est pas fondamentalement empreinte d’une certaine forme de réalisme propre à dissiper les promesses d’une indemnisation qui ne peut être automatique et dépend fortement des contrats d’assurance de chacun.

Au fond, il faut se garder de toute généralisation pour éviter que nombre de commerçants, artisans, TPE ou PME ne se lancent dans des procédures qui, à terme, pourraient emporter des coûts supplémentaires qu’elles ne seraient pas en capacité de supporter.

A ce titre, il est important de souligner que la victoire martelée par les médias du restaurateur n’est que provisoire et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est essentiel de relever que la reconnaissance du droit à indemnisation a été prononcée par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS statuant en matière de référé.

En effet, le restaurateur a saisi le Président du Tribunal de Commerce sur le fondement des dispositions des articles 872 et 873 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

L’article 872 du Code de Procédure Civile dispose :

Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

L’article 873 précise :

Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire

Ces dispositions organisent les pouvoirs du Président du Tribunal de Commerce en matière de référé qui peut, en cas d’urgence, accorder une provision sous la réserve que l’obligation ne soit pas sérieusement contestable, c’est-à-dire en l’espèce que l’obligation au paiement par l’assureur ne souffre pas de contestation.

Pour faire simple, la notion de contestation sérieuse s’apprécie et doit être mesurée à l’aune de l’évidence des droits revendiqués par chacune des parties de telle sorte que le Juge des référés doit se reconnaître incompétent dès lors qu’il pourrait prendre une mesure qui supposerait un droit reconnu alors que ce dernier n’apparaît pas incontestable ou évident.

Dans l’affaire qui nous occupe, et dans la mesure où ne disposons pas des éléments de la procédure, des conclusions des parties comme de leurs pièces, il serait mal venu au seul visa de l’ordonnance rendue de considérer qu’il existait ou non une contestation sérieuse et donc de porter un avis sur le fait de savoir si le Président était ou non compétent.

Toutefois, il est à noter que le Président a pu considérer, au regard des éléments en sa possession, que sa compétence pouvait être retenue dès lors qu’il lui appartenait simplement d’interpréter un contrat d’assurance sans avoir à trancher de contestation sérieuse.

Or, telle est bien la problématique cardinale de ce type de procédure où l’enjeu n’est pas d’obtenir une décision sur le fond du droit mais de démontrer l’absence de contestation sérieuse afin notamment de permettre le versement d’une provision.

Or, la notion de contestation sérieuse demeure en tant que telle une notion relative dont il est difficile d’obtenir une définition précise autrement que dans le cadre du litige qui implique sa mise en œuvre ou à tout le moins son analyse.

En l’occurrence, l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS démontre que la question de l’existence ou non d’une contestation sérieuse susceptible de justifier ou non sa compétence pour octroyer une provision au restaurateur dépend intégralement du contenu de la clause du contrat d’assurance sur laquelle on s’appuie pour justifier une indemnisation de la perte d’exploitation.

Si cette clause est claire, lisible et non équivoque, il y a tout lieu de penser que l’obligation de l’assureur ne sera pas sérieusement contestable et justifiera la possibilité pour le juge des référés d’accorder l’octroi d’une provision à valoir sur le préjudice final.

Là où commence l’indécision est le moment où le juge doit nécessairement se livrer à une interprétation du contrat et de ses clauses pour déterminer si le droit de l’assuré justifie qu’il lui soit alloué une provision.

Dans l’affaire qui nous occupe, il ressort de l’ordonnance que le contrat comportait une clause « fermeture administrative » et que le débat s’est cristallisé essentiellement sur cette question, la problématique du caractère inassurable du risque pandémique ayant été écartée par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS de manière justifiée dès lors que l’objet du référé ne pouvait porter que sur l’appréciation du caractère non contestable de l’obligation de l’assureur au regard du contrat lui-même et de la clause objet du litige.

Seul le contrat d’assurance et ses clauses présentaient dans le débat une véritable importance.

Or, sur ce point, l’analyse de l’ordonnance permet de constater que le Président du Tribunal de Commerce a tout de même été contraint, pour caractériser l’obligation non sérieusement contestable, de procéder à une interprétation de ce qu’il désigne comme la « clause de fermeture administrative » non seulement en caractérisant cette dernière mais en décidant qu’elle s’appliquait même en cas de fermeture partielle.

Ce qui laisse entendre qu’AXA a tenté de justifier le caractère contestable de son obligation en faisant valoir précisément que la notion de fermeture administrative laissait place à une interprétation qui faisait obstacle à ce que le juge des référés puisse accorder une provision au restaurateur à valoir sur son préjudice.

La question qui se pose est celle de savoir si le Président a été au-delà de ce qu’il pouvait légitimement faire dans le cadre de ses pouvoirs qui se trouvent de plus en plus limités au fur et à mesure qu’il est tenu d’interpréter le contrat.

Si, à la lecture de l’ordonnance du Président du Tribunal de Commerce, l’obligation de l’assureur peut paraître certaine, il n’en reste pas moins qu’il serait aussi présomptueux que risqué, sur la base de cette seule ordonnance, sans disposer du contrat et de la clause litigieuse, de prédire ce que pourront obtenir d’autres restaurateurs ou d’autres personnes recherchant la mise en cause de l’assureur pour non-respect de ses obligations contractuelles, et surtout ce que pourront décider, peut-être dans des situations identiques, d’autres juges des référés qui pourraient considérer que l’obligation analysée dépasse leur compétence.

Comme il a été indiqué, la question est celle de savoir si, en procédant à l’interprétation de la clause de fermeture, le Président n’a pas tranché une contestation sérieuse qui était de nature à exclure sa compétence.

C’est pourquoi, l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS soulève aujourd’hui plus d’interrogations que de certitudes quant à la réalité des possibilités d’indemnisation des pertes d’exploitation qui restent dépendantes exclusivement du contenu des contrats de chaque assuré.

Un cas particulier ne peut faire une généralité sauf à créer de faux espoirs.

Il faut donc se montrer d’une extrême prudence lorsqu’il est affirmé qu’un restaurateur aurait fait plier AXA dès lors que la décision s’inscrit dans un contexte juridique spécifique qui est celui du référé et de la notion d’obligation non sérieusement contestable qui reste une variable difficile à cerner et qui est fondamentalement attachée au contexte qui la génère et plus spécifiquement à la lecture d’un contrat et de ses clauses.

Sans compter que peu de contrats comportent ce type de clause ou que peu de personnes ont souscrit la garantie qui lui était inhérente.

Sans compter encore les exclusions de garantie.

S’il est heureux qu’un restaurateur ait pu obtenir une première victoire, il n’en faut pas moins oublier que cette dernière n’est qu’une étape dans un long processus juridique et qu’elle tient de circonstances spécifiques et particulières.

Par ailleurs, il semblerait qu’AXA ait fait appel de la décision.

Ensuite, il convient de rappeler que cette décision est provisoire et ne statue pas sur le fond du droit.

Elle ne fait que justifier l’allocation d’une provision et ne procède pas d’une indemnisation complète et définitive.

Enfin, elle s’inscrit dans un cadre contractuel spécifique et propre au restaurateur concerné.

Il faut donc se garder des mirages qui pourraient laisser croire que les assureurs pourraient être tenus à une indemnisation des pertes d’exploitation sans condition.

Chaque contrat présente des spécificités qui peuvent certainement permettre, par des techniques juridiques appropriées, d’obtenir une indemnisation de l’assuré. Notamment lorsque les clauses donnent place à interprétation ou sont mal rédigées. Mais tous les contrats ne permettront pas d’obtenir une indemnisation globale et générale. A chaque personne, à chaque contrat, une stratégie adaptée devra être adoptée en ce compris celle qui consistera à refuser d’engager des personnes dans des procédures inutiles.

Par contre, il est une certitude.

La publicité pour AXA est à court terme assez désastreuse. Ce qui explique sans doute pourquoi certains assureurs ont pris l’initiative de verser à leurs assurés une indemnisation limitée mais suffisante pour se garantir une image positive et responsable.

La faille au fond n’est pas dans le contrat mais dans la gestion que les assureurs auront de cette crise et des répercussions directes qu’elles pourront avoir sur leur image. La volonté des assureurs d’éviter ce type de publicité pourraient les conduire à favoriser des processus transactionnels qui n’auront pas la faveur des médias mais permettront d’étouffer un mouvement qui leur serait défavorable. A tel point qu’au fond  le contrat n’aurait plus en lui-même le caractère sacré qu’il doit avoir en faisant la loi des parties mais porterait en lui la possibilité de s’en abstraire au seul visa des intérêts financiers qu’il pourrait mettre en péril.

T com Paris 22 mai 2020 n 2020017022

François Carré